mercredi 2 décembre 2009

AMÉRIQUE LATINE : LES RÉFORMES AGRAIRES

Présentation

Ce blog se propose d’échanger expériences et réflexions sur la réforme agraire en Amérique latine. Ingénieur agronome, j’ai participé à différentes réformes agraires, au niveau du terrain, tout d’abord dans le cadre d’une ONG, l’IRAM (Institut de Recherche et d’Application des Méthodes de Développement, www.iram-fr.org), et depuis 1974 comme professeur à la Faculté d’Agronomie de l’Université Centrale du Venezuela, où la direction de thèses m’a maintenu au contact de l’évolution des asentamientos (nom générique des exploitations de réforme agraire en Amérique latine). L’essentiel de mon expérience a correspondu à la réforme chilienne, démocrate chrétienne (1967-70), puis socialiste (1972-73), et à la réforme vénézuélienne (1970-72, et de 1974 à aujourd’hui). La réforme agraire n’est certainement plus un thème aussi porteur qu’il l’a été au cours des années 1960-1970, mais elle reste à l’ordre du jour (par exemple au Brésil, et au Venezuela depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez), et dans l’imaginaire de nombreux militants urbains et paysans : il vaut la peine d’en discuter.

La réflexion théorique peut souvent paraître dépourvue d’utilité concrète. Mais les échecs, ou plutôt des résultats obtenus qui sont bien distants des objectifs du départ, m’ont paru être un tableau assez courant dans les réformes agraires. Je me souviens de la visite au Chili, du temps d’Allende, de David Lehmann, professeur de Cambridge. Il expliquait posément, à un membre de l’équipe de l‘IRAM, que nous étions de gentils et inventifs organisateurs de la participation paysanne, mais que nous devions réfléchir aux tenants et aboutissants de notre action, car nous travaillons sans perspectives générales ; des bricoleurs, en somme. En l’écoutant, je pensais que décidemment les professeurs universitaires se trouvent dans les limbes, et préférais me limiter au travail concret sur le terrain. Ironie du sort ? Et bien, je me retrouve maintenant, et depuis de longues années, à l’Université Centrale du Venezuela, sur des positions proches de celles de David.

Plusieurs thèmes sous-tendent la réflexion proposée. Ils sont le produit des déceptions par rapport aux espérances, au niveau du vécu du terrain. L’un d’entre eux est le produit de l’expérience : il s’agit de choisir une vision à partir des acteurs les plus humbles, paysans et techniciens de terrain. La fin abrupte de la réforme chilienne lors du golpe de Pinochet m’a fait privilégier cette approche : de nombreux responsables et idéologues de la réforme agraire ont demandé l’asile dans des ambassades (certains, dont il faut saluer le courage, sont restés dans leur pays, avec les conséquences que l’on sait) ; ils ont souvent occupé ensuite des postes importants dans des institutions internationales ou des universités européennes ou aux Etats-Unis. Mais les paysans et les techniciens de terrain n’ont pas eu cette possibilité : dans le meilleur des cas ils ont survécu pendant de longues années de privations, quant ils n’ont pas été frappés directement par la répression.

Un autre thème est celui du décalage entre les objectifs des réformes agraires, les espoirs qu’ils soulèvent chez les paysans et l’enthousiasme qui anime les militants qui les appuient, et les résultats qui s’observent de longues années après. Cela nous amène à l’importance du long terme dans la réflexion sur le foncier : les programmes fonctionnent trop généralement dans le court terme des projets successifs, et se situent dans une dimension temporelle qui ne dépasse pas la fin d’un projet en cours, pour les techniciens et administratifs, mais aussi, bien souvent, pour les travailleurs militants des ONG, ou bien l’horizon des suivantes élections législatives ou présidentielles, pour les responsables politiques. Or les conséquences des mesures prises sur le plan agraire ont souvent des effets à moyen ou long terme, insoupçonnés par leurs promoteurs. Ce thème du long terme sera abordé dans le prochain blog.

D’autres thèmes seront évoqués, en fonction de l’actualité (principalement vénézuélienne), et de l’inspiration du moment. J’essayerai de faire alterner réflexion générale et observation critique, tant du passé chilien et vénézuélien que de l’expérience actuelle au Venezuela. Probablement ferai-je grincer quelques dents : merci à ceux qui exposeront leur désaccord.

Tous commentaires, critiques, suggestions sont bienvenus. Je dois m’excuser à l’avance de mon français espagnolisé, dû au fait que je vis en Amérique latine depuis plus de 40 ans.

Olivier Delahaye

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